Au plus petit café du monde, de Hugues Morin

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Le rocher aux Pigeons

C’est arrivé en juillet 2004, le long de la corniche, sur l’avenue du Général-de-Gaulle, en face du rocher aux Pigeons. C’était le meilleur endroit en ville pour admirer le coucher du soleil. Je me suis approché de la seule chaise libre du café, situé à cet endroit à cause du paysage, bien sûr, mais célèbre aussi pour être le plus petit café du monde.

Sur la chaise me faisant face, une jeune femme était plongée dans la lecture d’un roman. Je me suis assis. La jeune femme, seule cliente de ce café qui comportait deux chaises et une unique petite table, n’a pas levé les yeux de son livre. J’ai posé mon latte sur la table en faisant un peu plus de bruit que nécessaire, car j’espérais attirer son attention ; en vain. J’ai contemplé le soleil, qui taquinait l’horizon en projetant une infinité de couleurs sur la mer. L’ombre du rocher aux Pigeons s’étirait et les deux célèbres rochers se révélaient au couchant, le plus grand formant un arc naturel surmonté de petites touffes de terre et de verdure.

J’ai reporté mon regard vers la jeune femme et observé plus attentivement ce livre qui la passionnait tant qu’elle ne levait même pas les yeux vers moi, ne serait-ce que par curiosité. J’ai reconnu le titre, puis j’ai cessé de respirer le temps de deux battements de coeur.

Voilà. J’avais au moins une réponse aux questions qui me trottaient dans la tête depuis mon arrivée. C’était un signe. Il soulevait autant d’interrogations qu’il apportait de réponses — et la recherche de celles-ci allait devenir ma raison de vivre pour les semaines qui suivraient —, mais au moins j’étais au bon endroit dans le monde.

J’étais à Beyrouth depuis plus d’une semaine, en quête d’un signe comme celui-là. Comme si j’accomplissais un pèlerinage. Je savais que je n’oublierais jamais ce coucher de soleil, ni ce plus petit café du monde. Ni cette jolie Libanaise qui était assise devant moi.

Beyrouth

Mon avion s’était posé à l’aéroport international de Beyrouth exactement neuf jours auparavant. J’avais ensuite erré dans les rues de la capitale libanaise, sans la moindre idée de ce que j’étais venu y faire.

Beyrouth, pour moi, c’était une guerre civile de près de quinze ans, c’était le siège temporaire de l’OLP, le terrorisme, bref, j’imaginais une ville remplie à la fois de stigmates de la guerre et de monuments en souvenir de cette guerre. Beyrouth était pour moi le Berlin du Moyen-Orient…

Or, surprise, je m’étais retrouvé dans une ville achalandée, bruyante, chaotique, moderne, pleine de vie et de gens chaleureux, des gens qui semblaient ne vouloir que vivre et profiter de la vie. Une sorte de Paris du Moyen-Orient, plutôt.

Mon premier contact avec un habitant de Beyrouth avait eu lieu avec le chauffeur de taxi qui avait voulu me soutirer vingt-cinq dollars américains pour le trajet de l’aéroport vers le centre-ville, mais qui s’était esclaffé en voyant que je ne mordais pas et que je proposais de régler pour dix.

Mon hôtel, l’Albergo, était situé dans Achrafiye, près de l’ancienne Ligne Verte, qui séparait la ville en deux lors de la guerre civile. Je ne savais trop à quoi m’attendre dans ce secteur, mais certainement pas à l’avenue la plus grouillante de boîtes de nuit que j’avais vue de ma vie ! Le quartier avait confirmé que je m’étais fait une image de Beyrouth peut-être un peu biaisée. Déjà ce premier soir, j’aimais la surprise de découvrir cette ville.

N’ayant aucune idée de la raison de mon séjour à Beyrouth, j’avais donc marché et exploré la ville au hasard pendant quelques jours, rencontrant des habitants et conversant avec eux. J’avais cru que le principal sujet de discussion serait l’Iraq ou encore la politique internationale, mais les Libanais de la capitale m’ont surtout parlé d’emploi et de la difficulté de gagner sa vie avec le taux de chômage qui frôlait les vingt pour cent. Malgré tout, chacun semblait possédé par l’idée de profiter de la vie, peut-être en réaction à la vie éprouvante que les Libanais ont eue pendant toutes ces années.

C’est lors de ma quatrième soirée en ville, en me baladant d’un bar à un autre, que j’ai rencontré Karim Aznavorian, un Libanais d’origine arménienne d’environ trente-cinq ans, sympathique et accueillant comme tous ceux que j’avais rencontrés jusque-là. À ma grande surprise, il parlait un anglais absolument parfait. Nous avons partagé une vodka puis conversé sur la guerre civile et il m’a raconté ses souvenirs de cette époque. En deux heures de conversation, il m’a mieux fait comprendre Beyrouth et le Liban que toutes les lectures que j’avais faites sur le sujet dans les heures précédant mon arrivée.

— La guerre civile, ce n’était pas un massacre après l’autre, mon ami. Au contraire. Il y avait des affrontements réguliers, entre divers clans et diverses factions, et les choses étaient rarement au beau fixe. Mais entre tous ces affrontements, la vie normale reprenait son cours. Après un cessez-le-feu, les marchands rouvraient les étals, les gens revenaient dans les rues acheter leurs fruits et légumes.

Grâce à Karim, j’ai compris que le Beyrouth de la guerre civile était rempli de contradictions. Que Beyrouth, c’était un terrain de golf couru, mais comprenant un trou numéro un qui était appelé un dangereux par cinq puisque certains golfeurs étaient atteints par des balles issues d’un champ de tir de l’OLP situé juste à côté. Que Beyrouth, c’était une affiche à l’entrée du pont de Beyrouth-Est qui interdisait le passage des chars d’assaut sur ce pont.

La ville que j’avais parcourue offrait parfois des contrastes saisissants, comme cet hôtel de luxe de Baie-Saint-George qui était planté devant les ruines d’un hôtel détruit par la guerre.

Karim me contait ces anecdotes avec un sourire en coin, s’amusant ouvertement de mon incrédulité. Mais en même temps, je sentais que le sujet était sérieux et qu’il ne tentait pas de me divertir ou de diminuer l’importance réelle de la violence.

— Mon père a travaillé à l’hôtel Summerland pendant quelques années, comme gardien de sécurité. Et au début des années 80, ça signifiait que si dix hommes armés se pointaient à l’hôtel, les « gardiens de sécurité » pouvaient s’en occuper sans que les clients ne soient importunés.

Karim se souvenait aussi qu’adolescent, grâce à son père, il avait rencontré au Summerland la chanteuse Gloria Gaynor venue chanter I Will Survive à l’hôtel devant une foule endiablée.

— Et l’été de mes quinze ans, lors de l’invasion israélienne, le club de golf a placé une affiche à l’entrée expliquant qu’en raison des circonstances, le championnat du club était malheureusement reporté.

Cette conversation, arrosée de vodka, bien que fascinante, ne semblait toutefois pas me diriger vers le but de ma visite à Beyrouth. Karim était amusé de pouvoir me raconter ça même si je n’étais sûrement pas le premier touriste à qui il relatait ces anecdotes. Malgré tout, je n’aurais su lui expliquer pourquoi j’étais à Beyrouth, puisque je ne le savais pas moi-même ; je me suis donc contenté de lieux communs lorsque la question a été abordée. Du tourisme, visiter la ville, ce genre de choses.

***

Deux jours plus tard, j’ai refait une tournée et me suis retrouvé dans un bar plus tranquille que les clubs populaires de Beyrouth, où il semblait impossible d’obtenir une table sans avoir réservé.

Ce soir-là, je suis tombé par hasard sur Marwan Tamizian, un homme que j’avais rencontré pendant ma seconde journée en ville, au plus petit café du monde, sur la corniche en face du rocher aux Pigeons.

Cette fois, c’est moi qui ai parlé le plus. J’avais besoin de me confier à quelqu’un, de raconter l’étrange circonstance qui m’avait poussé à prendre un avion pour Beyrouth. Il me semblait que si j’exprimais mon questionnement, je trouverais la raison de ma présence.

Et Marwan me paraissait exactement le genre d’homme à avoir été témoin de suffisamment de choses dans sa vie pour accueillir mes confidences sans les juger, et peut-être même pourrait-il suggérer une interprétation que je n’avais pas envisagée.

Montréal

J’ai peine à croire que tout cela avait débuté à peine dix jours plus tôt. Je m’étais levé un matin comme les autres, dans mon appartement du Plateau-Mont-Royal, près du coin Brébeuf et Marie-Anne, à Montréal. Je m’étais d’abord préparé un café au lait avec un soupçon de vanille, comme je le faisais chaque jour. J’avais ensuite pris une douche, d’abord chaude puis froide, avant de me raser, puis de m’habiller. Enfin, installé à mon bureau, j’allais travailler à la suite de mon nouveau roman, un livre qui me donnait du fil à retordre, lorsque quelque chose d’inhabituel avait attiré mon attention.

Une petite enveloppe à l’effigie de Travel Cuts/Voyage Campus reposait sur le coin de mon bureau, à quelques centimètres de la souris de mon ordinateur. J’ai ouvert l’enveloppe pour y découvrir un feuillet imprimé et broché à l’intérieur du revers.

Intrigué, je n’ai d’abord pas reconnu la chose. Mais je me suis rapidement rendu compte qu’il s’agissait d’un billet d’avion. Non pas un billet réel, si ces effets existent encore, mais bien un imprimé de confirmation : un billet électronique.

La chose avait de quoi surprendre, puisque je n’avais aucun souvenir d’avoir récemment acheté un billet pour où que ce soit.

J’ai donc étudié le billet en question, et surtout sa destination : Beyrouth, Liban. Départ le surlendemain matin.

Jamais de ma vie je n’avais mis les pieds à Beyrouth, ni ailleurs au Moyen-Orient. Jamais n’avais-je même pensé y mettre les pieds.

Le billet était bien à mon nom, pour un vol Montréal—Paris—Beyrouth. Il avait été acheté une semaine auparavant, selon le reçu au bas. J’ai fait une rapide vérification en ligne de mon compte bancaire et de ma carte de crédit; il n’y figurait aucune transaction concernant l’achat de ce billet.

Un cadeau? De qui et pourquoi? Un canular?

J’ai donc appelé la compagnie aérienne. On m’a confirmé la validité de mon billet en me faisant réaliser au passage que mon vol de retour ne me ramenait pas à Montréal, détail que je n’avais pas noté. Le retour était un vol Beyrouth—Londres—Vancouver. Trois semaines plus tard.

Aucune explication satisfaisante ne me venait à l’esprit.

Après plusieurs heures à me creuser la tête, j’ai décidé que la seule façon de comprendre ce qui m’arrivait était probablement de me servir de ce billet et de m’envoler pour Beyrouth. Après tout, je pouvais prendre quelques semaines de vacances, et j’avais assez d’argent en banque pour survivre au Liban pendant trois semaines, surtout que le billet aller-retour semblait m’être offert sans frais. Ce satané roman pouvait bien attendre également, et peut-être bien que ce séjour me permettrait d’affronter avec un regard nouveau les embûches qu’il posait.

L’idée me fascinait et m’effrayait à la fois. J’avais beau vouloir une explication, la seule idée plausible était bien trop terrifiante pour que j’envisage un seul instant que ma santé mentale était en cause. J’ai donc fait mes bagages et acheté un livre sur l’histoire récente du Moyen-Orient, ainsi qu’un guide Lonely Planet sur le Liban. Puis, je me suis envolé vers Beyrouth.

Nous étions le 12 juillet 2004.

Des choses plus étranges encore arrivaient aux personnages supposément réalistes de mes romans, et ils ne réagissaient pas si différemment, après tout. Bon, il s’agissait de fiction, pas de réalité, mais en fin de compte je ne voyais rien de mieux à faire. Je pourrais toujours prendre un vol de retour vers Montréal si jamais l’aventure s’avérait décevante ou me contenter de faire du tourisme au Liban pendant quelques semaines. L’explication viendrait bien un jour ou l’autre, enfin, je l’imaginais.

Marwan

À mon arrivée à Beyrouth, je m’attendais presque à trouver un comité d’accueil ou, à tout le moins, quelqu’un avec une petite affiche portant mon nom. Bien que l’idée parût totalement farfelue, j’aurais ainsi trouvé mon explication. Aussi idiot que cela puisse sembler, j’aurais été fort soulagé d’apercevoir quelqu’un attendant mon arrivée à l’aéroport. Mais non, j’allais devoir découvrir seul la raison de ma présence au pays du cèdre.

J’avais passé la moitié du vol vers Paris à me triturer les méninges à la recherche d’une explication, mais peu importait l’angle sous lequel j’attaquais la question, rien ne semblait convenir. Rien de rationnel. J’avais des souvenirs très précis des semaines précédentes, et les soirées de beuverie et les journées floues n’en faisaient pas partie. Il faut préciser que ma routine était plutôt ennuyante pendant les semaines que je consacrais au premier jet d’un nouveau roman. C’était une discipline nécessaire à la manière dont je travaillais.

J’avais profité de l’escale à l’aéroport Charles-de-Gaulle pour terminer mon petit livre sur l’histoire du Moyen-Orient. J’entretenais ainsi l’illusion de ne pas me rendre sur place en totale ignorance. Le vol Paris-Beyrouth avait été consacré à la lecture du chapitre concernant la capitale libanaise.

Une des premières choses à avoir attiré mon attention dans ce guide touristique, c’était la vue du rocher aux Pigeons que l’on avait de la corniche, mais aussi l’existence de ce plus petit café du monde. Je m’y étais donc rendu dès la première journée pour admirer le paysage et suivre mon instinct.

À part le paysage, en effet charmant, je n’y ai rien trouvé de significatif pour moi lors de cette première visite. Après s’être présenté, le propriétaire du café, Marwan Tamizian, m’avait confirmé que les couchers de soleil étaient splendides et que je devais revenir plus tard en soirée. Fort sympathique, il était enchanté que je vienne du Canada et il avait souligné au passage qu’il avait de la parenté en Amérique, à Vancouver et en Californie. Je lui avais promis de revenir quelques jours plus tard.

Près d’une semaine s’était écoulée, pendant laquelle j’avais fait la tournée des endroits suggérés par mon Lonely Planet et profité de la nightlife fort animée de Beyrouth, apprenant à mieux comprendre la culture locale grâce entre autres aux anecdotes de Karim Aznavorian et de quelques autres rencontres plus brèves.

J’avais de la difficulté à profiter pleinement de mon séjour, toutefois. Au coeur de la Place d’Étoile, véritable oasis sans trafic entourée d’immeubles d’architecture française, animée de cafés sympathiques et dominée par l’imposante Tour d’Horloge, avec des ruines en arrière-plan, j’avais l’impression de me déplacer dans un décor de cinéma. Malgré toute l’activité de cette ville tellement vivante et malgré les gens souriants que je croisais partout, un sentiment me rongeait. Impossible de me contenter de faire du tourisme, j’avais besoin de comprendre et la frustration commençait à se faire sentir. Les hauts édifices qui projetaient leurs longues ombres tôt dans l’après-midi de Beyrouth ne suffisaient plus à me faire oublier l’étrangeté de ma présence en ces lieux.

C’est dans cet état d’esprit que j’ai revu Marwan par hasard, dans un petit café-bar, pendant mon premier dimanche soir. Et que je lui ai raconté la raison de ma présence ou, plutôt, confié ma quête d’une raison.

Marwan a été somme toute un très bon confident, ou bien j’avais tellement besoin de parler de cette histoire que je me serais confié à n’importe qui avec soulagement. Il m’a suggéré de venir voir ce fameux coucher de soleil au rocher aux Pigeons, de suivre mon instinct, et que si cet instinct m’avait dirigé vers son café, fût-il le plus petit café du monde, peut-être y trouverais-je l’explication que je cherchais.

Au plus petit café du monde

Et c’est après cette semaine de semi-errance que j’ai longé la corniche et me suis rendu, une fois encore, au plus petit café du monde. Et j’y ai trouvé non pas l’explication tant cherchée, mais à tout le moins un signe. Un signe suffisamment évident pour que je ne puisse pas le nier ou n’y voir qu’une coïncidence : une jeune femme qui lisait un roman. Et pas n’importe lequel. Ce roman-là.

Nous étions le 20 juillet.

Je me suis donc installé à l’unique table, devant le soleil qui plongeait vers la mer sur le rocher aux Pigeons, avec cette belle Libanaise devant moi. Le signe que j’attendais, c’était elle.

Impossible de penser autrement. Et même si ce signe apportait avec lui plus de questions que de réponses, soudainement, je voulais reléguer l’idée à l’arrière-plan, maintenant que j’avais de la compagnie dans ma folie.

La jolie Libanaise

Kifak

J’avais lu dans mon guide qu’il fallait aborder les gens avec un Salam Alaykum, mais j’avais appris à l’usage que les Libanais étaient un peu moins formels que le reste du monde arabe. La jeune femme a enfin posé son livre et levé les yeux vers moi, puis m’a souri.

— Hi, how are you?

Elle parlait un anglais parfait, comme plusieurs habitants de Beyrouth.

— Ça va, dis-je en français, sans abandonner mon sourire.

Après tout, elle lisait un livre en français…

Son sourire s’élargit.

— Vous êtes Français ?

Ici, un léger accent ou, plutôt, une hésitation.

— Oui, du Québec.

— Ah, Montréal…

J’ai étiré mon bras pour lui tendre la main.

— Dan.

Elle m’a serré la main.

— Enchantée. Emmanuelle.

Elle ne m’avait pas reconnu, mais il n’y avait aucune raison qu’elle le fasse. La photo publiée en noir et blanc et petit format sur la troisième de couverture de mon dernier roman remontait déjà à quatre ans. J’avais les cheveux beaucoup plus courts qu’à cette époque et ne portais plus de lunettes.

Ce roman, publié trois ans auparavant, n’avait pas été un grand succès, sans être un échec pour autant. Un peu moins de deux mille exemplaires vendus, un nombre satisfaisant pour moi, et j’étais passé à mon projet suivant. Malheureusement, j’avais eu quelques difficultés et j’avais perdu un an à travailler sur un roman qui s’était avéré mort-né. Quelques mois de questionnement avaient suivi avant qu’un nouveau projet ne se pointe dans ma tête et que j’en entreprenne l’écriture. C’était bien sûr avant de trouver sur mon bureau un billet pour Beyrouth.

Ce dernier roman publié, mon cinquième, bien qu’il ait été mon plus grand succès de librairie, ne suffisait guère à me faire reconnaître dans la rue, bien entendu. Surtout lorsque je me présentais comme Dan plutôt que Daniel.

J’ai souri à Emmanuelle.

— C’est un joli nom, Emmanuelle. Très français.

Elle a soupiré.

— Mon père trouvait ça trop long pour une fille. Ma mère a insisté.

Son français était teinté d’un léger accent européen.

— Elle a bien fait.

J’ai appris qu’elle n’habitait pas Beyrouth, bien qu’elle en fût native. Elle s’y trouvait en vacances pour un mois, elle rendait visite à sa famille et à ses amis. Je lui ai raconté mes problèmes à m’intégrer à la vie nocturne de mon quartier, le fait que j’étais souvent carrément mis à la porte des restaurants et boîtes de nuit lorsque les gens qui avaient réservé arrivaient. Elle a ri et m’a invité à me joindre à elle et ses amis le jeudi suivant pour une soirée, en précisant qu’ils avaient réservé dans un club de nuit, rue Monot.

Nous avons quitté le Café et marché côte à côte le long de la corniche.

— Si vous êtes de Beyrouth, pourquoi venir voir le coucher de soleil ici ? Ça semble tellement touristique, presque cliché.

— Ça l’est un peu, mais ça faisait longtemps que je n’avais pas vu le soleil se coucher ici. Et le propriétaire de ce café est mon oncle.

— Marwan est votre oncle ?

— Tu peux me tutoyer…

Pendant la longue promenade qui a suivi, nous avons beaucoup parlé, nous avons plaisanté aussi, et bien que je n’aie pas tenté de lui cacher mon identité, je ne m’empressais pas non plus de la lui révéler. Par contre, après un moment, je n’ai pu m’empêcher de lui demander ce qu’elle lisait, au café, un peu plus tôt.

— C’est un roman fantastique. Pas mal. J’en suis à la moitié. Je lis plus lentement en français, mais c’est bon pour moi de pratiquer si je veux visiter Montréal un jour !

— Où as-tu trouvé ce livre ? Il n’est publié qu’au Canada, je crois…

— Oh ! C’est une drôle d’histoire. Ma cousine Alice — la fille d’oncle Marwan —, elle l’a trouvé et comme elle ne lit pas le français et que j’arrivais en visite le jour même, elle a pensé à me l’offrir. Je ne croyais pas rencontrer quelqu’un de Montréal en le lisant !

Elle avait dit ça avec un sourire charmeur dont elle n’avait pas conscience.

— Drôle d’histoire, en effet…

Je ne savais pas trop si c’était la chose à faire, mais comment pouvais-je me retenir de l’emporter avec moi dans ma folie, maintenant que je croyais que j’étais venu là précisément pour la rencontrer ?

— Bien drôle d’histoire… surtout que ce roman, j’en suis l’auteur.

Le plus ancien mystère

Emmanuelle n’en revenait pas de la coïncidence, mais elle semblait prendre tout cela avec plus de légèreté que moi. Bien entendu, elle ne savait pas où sa cousine avait déniché le livre et elle n’avait évidemment pas découvert un billet d’avion sur le coin de son bureau en se levant un beau matin de juillet.

Toujours est-il que je me suis joint à elle et quelques amis pour une première soirée, que nous avons passée en partie au Citrus, puis au Taboo. J’en oubliais toutes mes questions tellement nous nous amusions. Je réalisais aussi que ça faisait très longtemps que je ne m’étais pas permis de me distraire en compagnie d’amis, sans autre raison que le plaisir de la chose.

C’est pourquoi, lorsque Emmanuelle m’a rappelé le surlendemain pour m’inviter à une journée de randonnée dans les monts Liban, j’ai accepté avec joie, autant pour me divertir que pour revoir cette jolie et intrigante Libanaise. Au cours de cette journée, j’ai appris que son mois de vacances se terminait une semaine plus tard et qu’elle devait quitter Beyrouth le 2 août.

Au fil des jours, nous nous sommes retrouvés à passer de plus en plus de temps ensemble, à parcourir les musées et les rues de Beyrouth, à réserver quelquefois dans les clubs et bars du quartier Achrafiye.

J’éprouvais une forte attirance envers elle, mais je n’avais pas l’impression de devoir précipiter les choses et n’étais pas certain qu’il y ait quoi que ce soit à précipiter. J’ignorais également si ses sentiments étaient semblables aux miens, mais pour la première fois de ma vie, je rencontrais une fille sans m’inquiéter de ce que je ressentais, ni de ce qu’elle ressentait en retour. Nous passions beaucoup de temps ensemble, mais sans jamais éprouver le besoin de parler de ce genre de choses. Il semblait que nous nous comprenions et devenions des amis.

Le temps s’écoulait donc sans que je m’en aperçoive, et à la fin de cet étrange mois de juillet, j’ai réalisé que je devais moi aussi quitter le Liban et rentrer au Canada. L’idée me paraissait surréaliste, Montréal, lointaine et étrangère.

Par un beau samedi ensoleillé, nous dégustions un café à la Place d’Étoile et j’admirais encore une fois l’architecture qui nous entourait.

Je dois rentrer au pays, mes vacances se terminent, moi aussi. En fait, mon billet d’avion est pour mardi. Je ferais mieux de profiter de la vue une dernière fois…

Elle sourit.

— Au fait, la plupart de ces édifices que tu admires tant incorporent une construction d’origine et une de la reconstruction d’après la guerre civile. Sauf les ruines là-bas, évidemment.

— Hum… impossible à deviner sans regarder attentivement. Même maintenant que tu le dis…

— Ça, c’est parce que tout ce qui est vaguement européen est mieux que ce qu’on trouve en Amérique du Nord !

Elle me taquinait toujours sur mes origines. Je trouvais le phénomène étrange, cette proximité nouvelle; je devais constamment me rappeler que je connaissais cette jeune femme depuis moins de dix jours. Pourtant, j’avais l’impression de la connaître depuis toujours. Le plus ancien mystère de la vie, que ce phénomène.

Elle s’est exclamée tout à coup :

— Hé ! Lundi, c’est le 2 août, et ton vol est mardi. Wow! On retourne au Canada à vingt-quatre heures d’intervalle. Presque le même jour !

Et dans ce café Place d’Étoile, je réalisais soudainement que nous quitterions tous deux Beyrouth à quelques heures d’écart pour la même destination.

Ses parents avaient émigré à Vancouver cinq ans auparavant. C’était donc là qu’elle habitait. Je savais qu’elle n’était qu’en visite dans sa ville natale, mais avec toutes les activités et les conversations, je ne m’étais pas rendu compte que la parenté que son oncle Marwan avait à Vancouver, c’était elle et ses parents. Elle disait toujours « l’Amérique », et moi, je pensais aux États-Unis.

De son côté, elle avait tenu pour acquis que mon vol était un aller-retour vers Montréal et je n’avais pas abordé la question de mon séjour improvisé ni de mon billet surgi de nulle part avec elle.

Ainsi, après dix jours à nous fréquenter à Beyrouth, où nous nous étions connus au plus petit café du monde, nous apprenions que nous nous rendions tous les deux au même endroit. Et lorsqu’elle a abordé la question, je n’avais aucune explication rationnelle de la raison qui m’avait fait prendre un billet de retour vers l’ouest du pays.

Avec elle, il semblait que je n’avais pas à me préoccuper de ce genre de détails. Emmanuelle, j’en prenais conscience, était comme Beyrouth. Vivante et paradoxale, pleine d’une maturité rare chez une femme si jeune.

Enfin, si le billet d’avion vers Beyrouth m’avait posé des questions, le retour vers Vancouver me laissait devant un choix. Et si cette amitié teintée d’attirance était le plus ancien mystère de la vie, il me faudrait peut-être accepter de ne jamais comprendre ce qui m’avait amené à vivre ce mystère.

La suite du monde

Après un moment, on se fatigue de se poser des questions. Hasard, coïncidences, destin… Doit-on absolument chercher à comprendre ?

J’ai quitté Beyrouth en espérant revoir cette ville, mais en ignorant que, six mois plus tard, l’ex-premier ministre Rafiq Hariri y serait assassiné et que la ville que j’avais tant aimée revivrait une époque de conflits. De Vancouver, où je m’étais installé, j’allais suivre le retrait des troupes syriennes et la dévastatrice invasion israélienne de l’été 2006. Pour Emmanuelle, son pays avait subi l’équivalent d’un mauvais sort, qui faisait que les autres pays et factions s’affrontaient au prix des vies des Libanais. Il lui était difficile de suivre l’actualité à distance, mais, d’une étrange manière, notre relation en semblait consolidée. C’était comme si notre destin était lié à ce pays où nous nous étions rencontrés.

Et les jours où je me pose encore des questions sur cette rencontre qui a changé ma vie, je fais ce que je sais faire de mieux. J’écris de la fiction, un univers où tout est permis, où tout est explicable.

L’ascenseur

Il fait froid dans l’ascenseur, comme toujours. Les déplacements de ce genre occasionnent toujours de grands changements de pression et de courants, provoquant des variations de température intenses.

Au-dessus des portes en toile de lin, deux boîtes holographiques sont suspendues côte à côte. Dans celle de gauche, des symboles qui ressemblent à de l’hindi défilent de haut en bas sur huit plans parallèles. Dates et heures, quelques grands titres. L’holocage de droite offre une vue planétaire incroyablement détaillée compte tenu de sa taille, qui est d’environ trois mètres cubes.

L’homme, qui porte un jeans et un chandail rouge foncé à manches longues, est seul dans la cabine. L’ascenseur n’émet aucun bruit perceptible à son oreille. Le bois laminé qui recouvre les trois murs est d’une couleur sombre et il est noirci à plusieurs endroits. Dans le coin derrière l’homme, à sa gauche, un long filet de liquide s’écoule du tuyau de refroidissement vers un drain situé directement au-dessous, sur le plancher de la cabine.

Après un moment, un peu de buée se forme près de la bouche de l’homme alors qu’il respire profondément. Il n’a pour seul bagage qu’une enveloppe.

Il regarde le plan dans l’holocage, puis tend le bras vers le panneau de contrôle de l’ascenseur. Il appuie simultanément sur deux boutons. Un timbre sonore se fait entendre par le haut-parleur du plafond de la cabine. L’homme fouille ses poches arrière et en retire un carré de carton perforé de petits trous rectangulaires, qu’il insère dans le côté du panneau de contrôle de l’ascenseur. Un second timbre se fait entendre. L’homme lève le regard vers les holocages.

Dans la cage de droite, un zoom est effectué sur l’Amérique du Nord, puis sur l’est du continent.

Le temps passe sans que l’homme ne s’impatiente. La buée qui sort de sa bouche à chaque respiration semble de plus en plus dense, mais l’homme ne paraît pas incommodé pour autant. Derrière lui, l’écoulement d’eau a cessé. Si l’homme jetait un coup d’oeil, il remarquerait que le filet d’eau a été remplacé par un glaçon de trente-cinq centimètres de long, maintenant suspendu à la sortie du tuyau de refroidissement.

Puis, la cabine s’immobilise. Aucun timbre sonore ne se fait entendre, cette fois. Les portes-rideaux en toile battent légèrement et la cabine se réchauffe alors que l’air froid s’en échappe. L’homme écarte les rideaux de lin et sort de l’ascenseur.

Zigouille l’Andouille

Au moment où se déroule cette histoire — une des plus célèbres missions de l’histoire du bureau — Zigouille l’Andouille était parmi nos meilleurs agents. En réalité, il ne s’appelait pas du tout comme ça, son nom officiel étant ZA-710, mais comme tout le monde qui oeuvre dans ce domaine, il s’est rapidement acquis un surnom affectueux. Je ne me rappelle plus très bien comment est apparu ce sobriquet, mais du plus loin que je me souvienne de lui, ZA-710 a toujours été pour moi et les autres : Zigouille l’Andouille. C’est amusant quand j’y repense comme ça, puisqu’en fait, je ne vois pas comment il a pu s’attirer ce surnom, puisqu’il n’était absolument pas andouille de nature. Au contraire, en qualité d’agent, il s’est avéré particulièrement habile dans tous les mandats qui lui ont été confiés, une rareté dans l’univers si compliqué dans lequel nous évoluons.

Ça devait bien faire une quarantaine de missions que Zigouille accomplissait à la satisfaction du bureau lorsqu’on l’a chargé de faire rencontrer deux personnes. Un cas que l’on aurait pu qualifier de facile, routinier, comme il s’en présente des milliers par an. Du moins, c’est ce que nous pensions. En réalité, sa mission était bien plus complexe, mais il avait eu le flair de la ramener à sa plus simple expression en désirant tout bonnement provoquer cette rencontre.

Dans notre domaine, on ne pose pas de questions. En fait, ce n’est pas vrai, on se pose des questions. Après un certain temps, on n’accorde plus autant d’importance au fait de connaître la raison des choses. Et puis, la structure de l’agence est conçue de manière à ce que personne ne sache vraiment ce qui se passe. Nul ne semble pouvoir posséder une image absolue, une vision globale. Tout est segmenté et j’imagine que les patrons ont une bonne raison pour que ce soit ainsi.

Cette histoire, elle commence donc avec cette affectation de mission. Puis, Zigouille l’Andouille effectue ses recherches et ses calculs, il projette, estime, et parvient à sa solution: il faut qu’un homme habitant Montréal rencontre une jeune femme vivant à l’autre bout du Canada, à Vancouver. Un cas apparemment enfantin.

Moi, j’aurais organisé une petite déviation de la trame, pour que notre homme soit invité à Vancouver en relation avec son travail. Une convention, un congrès, un festival littéraire… Ce genre de chose fonctionne parfaitement pour forcer des rencontres entre gens qui n’habitent pas la même ville, je m’en sers tout le temps.

Mais Zigouille est plus subtil que moi, et il a tout de suite remarqué quelques anomalies qui rendaient la mission plus compliquée que prévu. Il y a toujours des effets indésirables, des dommages collatéraux causés par les changements, mais on apprend à courir des risques et à vivre avec ces impondérables difficiles à chiffrer a priori. Le point de vue de Zigouille diffère, et son talent ainsi que sa perspicacité expliquent pourquoi il a un taux de réussite aussi élevé. D’ailleurs, il a toujours prétendu que si nous faisions plus attention, quitte à innover et à prendre des chemins plus complexes, nous y gagnerions à long terme. J’imagine qu’il y a du vrai dans cette idée, puisque nous semblons pris dans un tourbillon où la moitié de nos affectations sont exécutées pour corriger un dommage collatéral survenu de façon imprévue lors d’une mission antérieure.

Ces deux jeunes gens devaient donc se rencontrer. Pour les types comme Zigouille l’Andouille, un as dans l’art de manipuler, rien n’est dû au hasard. Mais même un génie comme lui n’a pas toutes les réponses, du moins je ne le pense pas. Cependant, il a du flair. Car son plan s’est avéré parfait, même si, à première vue, il paraissait complètement farfelu et qu’il a soulevé un tollé de protestations à tous les niveaux du bureau.

Un gars comme Zigouille l’Andouille, ça travaille sans filet. Je me souviens encore du jour où il a eu le cran de placer un exemplaire allemand du Cosmopolitan de septembre 2001 en juillet 2000 dans une bibliothèque publique, juste pour provoquer une curiosité suffisante chez un étudiant de l’époque. Anachronisme flagrant… mais c’est une tout autre histoire. Je me rappelle avoir pensé que ça prenait du courage pour jouer sur les continuations divergentes. Moi, j’ai déjà de la difficulté à dormir quand il faut que je déplace un trousseau de clefs ou que « j’égare » quelques billets de banque pour laisser un portefeuille vide.

Mais Zigouille l’Andouille est un gars patient. Il pose ses pions avec méthode, malgré les apparences parfois dérangeantes. Il peut placer un exemplaire du Sélection du Reader’s Digest de février 1973 dans un cabinet de médecin ou un billet gagnant dans la poche du veston d’un buandier ou encore une copie défectueuse d’un reportage sur l’après-guerre en Bosnie dans un studio de télé, sans que ses collègues ne comprennent exactement ce qu’il tente de faire.

Et bien sûr, lorsqu’un des plus talentueux agents du bureau se voit confier un nouveau mandat, il y a toujours l’excitation de le voir travailler, sans parler des petits paris qui sont engagés autour de certaines missions qui semblent sortir de l’ordinaire.

Pour ce mandat, Zigouille l’Andouille avait décidé de violer une règle importante. Il prenait un très gros risque.

Il y avait un gars que nous appelions entre nous Peter Pan —il s’appelait en fait PP-330 — et qui a été renvoyé après avoir permis l’évasion d’un éléphant d’Asie du jardin zoologique de Cleveland. Qu’un éléphant s’évade d’un habitat clos, voire du zoo, ça aurait passé. Mais que l’éléphant en question disparaisse de Cleveland et du territoire des États-Unis, c’était un choix très difficile à défendre. C’est moins pire que les observations d’ovnis ou de faux corps d’extraterrestres, mais Peter Pan n’avait pas du tout prévu la suite — tout le monde n’est pas aussi intuitif que Zigouille l’Andouille. Aussi, lorsqu’un fin observateur a reconnu l’éléphant, qui portait encore une bague d’identification, lors d’un reportage safari en Asie un mois plus tard, nous nous sommes tous retrouvés sur la sellette ici.

Tout ça pour dire qu’habituellement, Zigouille l’Andouille préférait la finesse à la facilité. Jusqu’au jour où il a décidé de prendre un ascenseur sur cet appartement du Plateau-Mont-Royal de Montréal et de faire quelque chose de si direct qu’aucun de nous ne l’aurait jamais tenté. Nous avons tous retenu notre souffle.

À Montréal, c’était le soir du 10 juillet 2004.

L’enveloppe

Un grand chien berger belge noir à poil long avance dans la pièce, une enveloppe entre les dents. Il laisse l’enveloppe contenant le billet d’avion à quelques centimètres de la souris de l’ordinateur, sur le bureau.

Il explore ce petit appartement de Montréal, reniflant ici et là. S’il était humain, un sourire se formerait sur ses lèvres. Il jette un oeil vers l’extérieur et l’intersection Brébeuf et Marie-Anne. Dehors, c’est animé, plusieurs passants marchent dans les rues du Plateau. Il résiste à l’envie d’ouvrir la porte-fenêtre et de sentir l’air de la ville, de la réalité.

Il ne se permettra pas de sortir, mais il s’offre un peu de jus d’orange à même un carton de jus frais trouvé dans le réfrigérateur de l’appartement. D’une patte, il pousse le carton vide entre le frigo et le mur.

Puis, il prend quelques minutes pour se reposer dans un confortable fauteuil, orienté vers la porte-fenêtre. Il observe ainsi les allées et venues des passants pendant un moment. Il se dirige ensuite vers la chambre à coucher.

Il parcourt du regard les quelques livres qui ornent une petite étagère. Il promène son museau le long des tranches où apparaissent les titres. Il s’empare d’une édition de poche, qu’il conserve dans sa mâchoire. Puis, il se plante devant le grand miroir vertical de la chambre à coucher.

Le berger regarde un instant l’image que lui renvoie le miroir. Il a l’air captivé par cette réflexion de sa réalité. Il secoue enfin la tête, l’image disparaît pour laisser place au rideau de lin. Le chien traverse le miroir et revient dans la cabine de l’ascenseur.

Le livre

De retour dans l’ascenseur, l’homme compose quelques codes sur le panneau de contrôle de la cabine et regarde les données défiler dans l’holocage. La cabine se met en mouvement, sans bruit. Et, cette fois-ci, la température demeure stable un long moment avant de chuter. L’homme en a à peine conscience lorsque sa bouche se remet à faire de la buée.

L’enveloppe est placée. Il aime bien ce grand chien noir qu’il utilise souvent, un grand berger sympathique qui lui rappelle celui de sa jeunesse et que ses parents avaient surnommé Zigouille l’Andouille. Il était bien moins compliqué d’être un chien quand un imprévu se produisait.

L’homme soupire, produisant un nuage de buée qui disparaît en une seconde.

On lui a demandé un leader, un héritier du pays du cèdre, pour devenir leader du mouvement qui libérerait un jour le pays de ses conflits, un unificateur.

Il ne lui restait qu’à déposer ce livre de poche à l’endroit prévu et à rentrer chez lui. Le voyage entre l’appartement de Montréal et celui de Beyrouth ne saurait être long. Même trame temporelle et même itération. Un plan simple mais efficient.

Début

***

À Oscar et Megan.

Parrain donnerait cher pour être Zigouille-l’Andouille et faire du monde un endroit meilleur où vous voir grandir.


 

Première publication: Solaris 163, 2007.