Éditorial: Parlons science, détecter l’indétectable

Imaginons la scène: le vaisseau Enterprise s’approche d’une planète de classe M. Le commandant Data annonce d’une voix ferme « Nous détectons douze signes de vie sur cette planète ».

La question à 100 barres de latinum: ça veut dire quoi, « détecter un signe de vie »? L’Enterprise est-il équipé d’un détecteur de battements de cœur capable d’agir à travers le vide de l’espace?

Je suis bien désolé de vous l’apprendre, mais le détecteur de signes de vie, c’est pas mal de la bouillie pour les chats.

Prenons un peu de recul pour revenir au fondamental: qu’est-ce qu’un capteur? Que ce soit un détecteur de fumée ou un radar, comment fonctionne un tel appareil?

On peut séparer tous les capteurs en deux catégories: passif ou actif. L’exemple d’une caméra nous permet de saisir la distinction entre les deux. À la base, la caméra est un détecteur de lumière passif: elle enregistre les rayons lumineux qui parviennent à son objectif. Un capteur passif réagit ainsi à ce qui est déjà émis. Il peut détecter et/ou enregistrer de l’énergie déjà présente.

Par contre, si on ajoute un flash à cette caméra, elle devient en quelque sorte un capteur actif: elle projette elle-même de la lumière sur les objets que l’on veut photographier afin d’en capter la réflexion. Un capteur actif émet de l’énergie qui sera réfléchie afin d’effectuer (ou d’améliorer) la détection.

Prenons quelques exemples: un détecteur de fumée agit passivement (la fumée émise est détectée lorsqu’elle passe à l’intérieur de l’appareil), tandis qu’un radar est au contraire actif (il envoie des ondes radios qui réfléchissent sur des objets en mouvement et permet de déterminer tant leur position que leur vitesse).

Cela étant établi, revenons à la science-fiction. De quelle manière l’Enterprise peut-il détecter des signes de vie?

Imaginons que le détecteur de signes de vie fonctionne de manière passive. Il ne peut alors détecter que ce qui est naturellement émis par un être vivant quelconque. Peut-être le capteur n’est-il rien d’autre qu’une puissante caméra haute résolution, capable grâce à ses trillions de pixels de prendre en photo chaque forme de vie sans égard à son intimité? Improbable, car les senseurs de l’Enterprise se montrent, au fil des épisodes, capable de détecter des formes de vie à l’intérieur de grottes profondes ou de vaisseaux spatiaux sans fenêtre.

Alors s’agit-il de capteurs actifs? Dans ce cas, que peuvent-ils bien émettre? Il y a déjà une limitation importante: ces capteurs doivent fonctionner à travers le vide de l’espace! Envoyer des ondes sonores serait bien inutile… Mais pour détecter spécifiquement des formes de vie, ces senseurs doivent émettre des ondes ou des particules qui interagissent de manière spécifique avec la matière vivante. Quelle particularité du vivant est-réellement détectée? La présence d’ADN? La possession d’une assurance-vie?

La physique traite les organismes vivants comme tout le reste de la matière. Nous sommes constitués des mêmes atomes et nous obéissons aux mêmes lois fondamentales. Il n’y a pas d’interactions particulières qui touchent les composés organiques.

Pour détecter un être vivant, il faut donc exploiter ce qui le distingue de son environnement. Par exemple, un individu se déplaçant à l’extérieur pendant une froide nuit d’hiver sera repérable grâce à sa température corporelle plus élevée: il émet davantage de rayonnement infrarouge (oui, nous émettons tous des ondes électromagnétiques!) Un capteur passif d’infrarouge pourra donc constater sa présence… Mais un être humain n’émet que quelques centièmes de mW, il apparaît peu probable que celui puisse être détecté par un vaisseau spatial en orbite.

Cela dit, ne soyons pas trop rabat-joie: nos héros de récits de science-fiction peuvent avoir des instruments à la précision surprenante à leur disposition. Durant la Deuxième guerre mondiale, l’armée allemande analysait les tonalités du Big Ben, dont le carillon était retransmis à travers l’Europe par la BBC. Grâce aux minimes fluctuations d’une journée à l’autre, il leur était possible de déterminer la météo britannique, et de prévoir leurs raids aériens en conséquence. Et ils ne possédaient pas les équipements informatiques modernes pour effectuer ces analyses! Plus proche de nous, des archéologues ont retrouvé des cités anciennes profondément enfouies grâce à la détection au laser, et les technologies de détection progressent à une vitesse prodigieuse.

La limite qu’il faut donc établir, c’est qu’il ne faut pas compter sur la découverte de particules aux propriétés magiques permettant de détecter n’importe quoi dans d’importe quelles circonstances. Les exploits de détecteurs futuristes reposeront sur une puissance de calcul gigantesque et des algorithmes raffinés, mais devront continuer d’obéir aux lois de la nature.

Et si Data prétend détecter des formes de vie intelligentes… on peut espérer que ce n’est pas en évaluant l’historique de navigation de sociétés extra-terrestres qu’il établit ce jugement.

6 commentaires sur “Éditorial: Parlons science, détecter l’indétectable

  1. Mariane Cayer

    D’autant plus que détecter des signes de vie… Comment peut-on faire la différence entre un grand singe et un être humain par exemple? Parce que l’Enterprise a l’air d’avoir pas mal moins de misère à détecter les êtres humains et extra-terrestres intelligents que les vaches, les poissons ou toute autre créature extra-terrestre!

    Quand aux formes de vie intelligente, mettons que je me demande ce que détecterais l’Enterprise à la Maison-Blanche ces jours-ci…

    1. Alain Ducharme Post author

      Biologiquement, les êtres humains ne sont pas différents des autres mammifères! Ils n’émettent rien qui leur soit propre.

      Détecter une civilisation par ses constructions ou sa consommation d’énergie demeure beaucoup plus plausible!

      Et si nous mettions au point un détecteur d’imbécillité, il nous serait certainement utile pour la prochaine campagne électorale.

  2. Genevieve Blouin

    Je dis ça de même, mais pour détecter des formes de vie intelligentes, ptêt qu’on pourrait essayer de capter les ondes alpha? (et de les différencier des autres ondes, mais là je n’ai aucune idée si leur longueur respective le permettrait, hé, j’ai pas fait de physique depuis le secondaire 4, je le rappelle! lol!) Je sais qu’on commence à être capable de les détecter avec des capteurs de proximité (qui permettent par exemple de faire bouger une balle ou un élément de jeu vidéo par la pensée)..

    Cela dit, si ça règle le cas de Star Trek (quoique ça prendrait un détecteur boosté en tabouère), ça ne règle pas le problème de fond : avant de foutre un détecteur de X ou Y dans une histoire, faut penser pendant deux secondes à la physique impliquée!

    1. Alain Ducharme Post author

      Le principal problème des ondes alpha est qu’elles sont de très faibles amplitudes. Chez l’être humain, elles ne dépassent pas quelques microvolts. Et nous vivons dans un environnement très riche en ondes électromagnétiques de toutes sortes. Comment les distinguer de toutes les autres ondes de fréquences similaires? C’est un peu comme si on cherchait à détecter l’utilisation d’un micro-onde au centre-ville de Montréal à partir de Mont-Saint-Hilaire.

      1. Genevieve Blouin

        Oui, c’est ce que je disais : il y a sans doute des problèmes techniques. Mais déjà, un détecteur d’ondes alpha serait plus intéressant et/ou plausible qu’un « détecteur de signes de vie », non?

        1. Alain Ducharme Post author

          Certainement! Et à partir d’un certain point, un auteur doit bien cacher sous le tapis les détails de fonctionnement de son gadget futuriste. Car s’il est réellement en mesure de développer un détecteur d’ondes alpha pouvant agir sur de grandes distances… qu’il cesse tout de suite d’écrire un roman et qu’il se mette au téléphone avec le bureau des brevets!

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