Parler de
magie revient à ouvrir plusieurs portes, et à se faire emporter par ses
réflexions. Peut-on expliquer la magie? La façon de la concevoir varie selon
les époques et les systèmes de pensée, de telle sorte que ses manifestations
sont multiples. Et si la rationalité scientifique et le positivisme ont eu
tendance, dans les derniers siècles, à mettre au second plan les discours sur
la magie, dits « irrationnels », force est de constater que la magie a
toujours été là – en témoignent les obsessions des morts, revenants et monstres
qui ont côtoyé la montée de la science ! Frankenstein, science-fiction ou fantastique? Et, plus près de
nous, que dire de la sorcière moderne, qui allie spiritualité et connaissances réelles
des rythmes de la nature et des corps?
Qu’en
est-t-il de la magie en fiction? Il s’agit d’un trope vieux comme le monde et souvent
utilisé dans les littératures de l’imaginaire. Vu et revu, il ne cesse pourtant
de se renouveler. La magie peut être codifiée par des règles rigides, ou pas;
être un fait physique dans l’univers ou elle prend forme… ou pas! Généralement,
on l’associe à la fantasy; elle est d’ailleurs l’un des éléments fondamentaux
permettant de définir ce genre.
Il existe
aussi une tendance à opposer la fantasy à la science-fiction, et la magie à la science,
que l’on retrouve autant dans la manière de concevoir ces genres que dans les
fictions elles-mêmes. Sortilège versus technologie! Avez-vous déjà vu Harry
Potter utiliser un cellulaire? Les parents d’Hermione n’étaient pas très
contents de voir leur fille utiliser une formule magique pour réduire ses
grandes dents, plutôt que d’avoir recours à un appareil d’orthodontie.
D’autres
écrits préfèrent plutôt jouer sur la frontière entre magie et science, et contribuent
à la rendre poreuse : système magique rappelant la chimie (ou l’alchimie?);
implant IA qui devient un artéfact vénéré, surnaturel, et qui, en passant à un
autre corps à la mort de son hôte, est perçu comme un outil de réincarnation; dragons
créés génétiquement afin de défendre la planète nouvellement colonisée … Est-ce
que la magie et la science, finalement, pourraient être une question de point
de vue, relatives à la manière de concevoir l’univers? Le cadre de référence édifié
au sein d’une œuvre me semble ici essentiel. N’importe quelle technologie
suffisamment avancée est indistinguable de la magie, écrivait Arthur C. Clarke,
abolissant ainsi la frontière entre les deux concepts. On pensera notamment à
cette scène des Visiteurs, où l’écuyer
Jacquouille découvre la télévision, ou « boîte à troubadours », et la
démolie en hurlant aux « sataneries ».
La magie
pourrait donc être ce qui échappe aux connaissances, et aux lois d’un contexte fictionnel
donné. Elle serait alors possiblement transgressive, puisqu’elle aurait le
potentiel de transformer la réalité consensuelle d’un univers et, ultimement,
de la redéfinir. Éventuellement subversive, la magie?
Personnellement,
j’avoue avoir un faible pour ces magies qui parlent du social et de
l’identitaire. Pour moi, la magie est un réservoir de possibilités lorsqu’il
s’agit d’aborder la question des différences entre les individus, et la manière
de réagir aux autres et à l’altérité. Je suis fascinée par la manière dont elle
peut être utilisée comme une structure hiérarchique, créant des schismes : entre
magies (celle-ci est mieux vue que celle-là!), entre personnes magiciennes ou
sans pouvoir (la magie est démoniaque, la magie est meilleure que la non-magie),
entre races ou groupes ethniques (les elfes noirs maîtrisent la magie de la
destruction, les hauts elfes maîtrisent les arcanes), entre les genres et les
sexes (les femmes utilisent telle magie et les hommes, telle autre!). Et
surtout, je suis captivée par la façon dont cette structure, une fois mise en place,
peut être critiquée et déstabilisée!
Et vous,
la magie vous intéresse-t-elle?