Éditorial: Faut-il lire les classiques?

Lorsque, enfant, j’ai commencé à lire de la science-fiction, il était naturel de débuter avec les grands auteurs de l’Âge d’or de la science-fiction: Asimov, Bradbury, Clarke, Dick, Heinlein, Van Vogt… Ce corpus, provenant d’une période allant de la fin des années 1930 jusqu’aux années 1950, constituait un point d’entrée facile à la littérature de genre. Non seulement ces œuvres étaient facilement accessibles en bibliothèque, mais elles présentaient sans détour les concepts fondamentaux de la science-fiction (empires galactiques, voyages dans le temps, robots, …)

Il est intéressant de constater que ce corpus d’introduction était resté relativement statique durant une longue période: un jeune grandissant dans les années 1960 ou 1970 avait probablement découvert la science-fiction par les mêmes titres. La science-fiction ayant effectué un énorme bond en maturité vers la fin des années 1930, le matériel antérieur à cette date avait en grande partie disparu de l’écran radar (à quelques exceptions près, tel que Verne ou Wells). À l’opposé, les œuvres marquantes des années 60 et 70 n’avaient pas supplanté les classiques de l’Âge d’or en tant que voie d’accès. Moins visibles et souvent plus exigeantes (on peut penser au courant New Wave), on ne les découvrait généralement que quelques années plus tard, après s’être fait les dents avec Fondation et compagnie.

Ce qui nous amène à considérer: qu’en est-il aujourd’hui? Un jeune de 13 ou 14 ans qui veut découvrir la littérature de science-fiction devrait-il lui aussi entamer son parcours avec Asimov et Bradbury?

Il s’agit certes d’un choix solide, opinion que semblait valider les lecteurs de la République lorsque nous leur avons posé la question. Ces œuvres demeurent pertinentes et accessibles. C’est en grande partie grâce à leur capacité à susciter l’émerveillement qu’elles ont perduré jusqu’à aujourd’hui.

Il ne s’agit cependant pas de l’unique chemin permettant aujourd’hui d’entamer son exploration de la littérature de genre. Bien sûr, beaucoup d’œuvres contemporaines supposent une familiarité avec les concepts clé du genre (Charles Stross est l’un de mes auteurs préférés, mais il importe de posséder un solide bagage littéraire pour apprécier certains de ces romans.) – mais ce n’est pas le cas de tous les livres publiés dans les dernières décennies. Le développement de collections de science-fiction destinées à un jeune public, à lui seul, fournit une porte d’entrée de premier choix. De plus, rappelons-le, il s’est écrit de l’excellente science-fiction à l’extérieur des frontières étatsuniennes: un roman de Champetier ou Sernine peut tout autant créer un lecteur à vie de science-fiction que bien des classiques américains.

Cela nous mène à une situation intéressante, où plus que jamais les lecteurs de science-fiction possèdent des bagages diversifiés et hétérogènes. On pourrait voir cette situation comme la perte d’un langage commun, mais choisissons plutôt de le considérer comme un enrichissement de ce langage. La conversation entre lecteurs ne peut que profiter de cette multiplication des perspectives et des parcours.