Éditorial: Le gars des vues

Il est sans doute impossible de produire une oeuvre de fiction sans que rien ne soit, pour reprendre l’expression, « arrangé avec le gars des vues ». La réalité n’a que faire des trames narratives, et la construction d’un récit demande certains accommodements si on veut en arriver à un résultat intéressant.

Ainsi, dans sa carrière de détective, Sherlock Holmes aura été aidé par le gars des vues au moins autant que par le Dr Watson. Je suis fan des récits de Sherlock Holmes, mais soyons francs…  une grande partie de ses déductions n’ont aucun sens. Un nombre incalculable d’événements auraient pu mener à l’apparition d’une tache de boue sur un soulier. D’aucune façon on ne peut en déterminer le parcours précis d’une personne à travers une ville comme Londres.

Le gars des vues tend également à être un peu trop actif en science-fiction et en fantastique. Le héros est le seul qui peut sauver le monde… parce que « prophétie ». Vous connaissez la chanson. Et on peut l’accepter, surtout si la prémisse du récit établit clairement les règles du jeu.

Lorsque le récit devient un peu plus ambitieux, on s’attend cependant à davantage de rigueur de la part de l’auteur. Le lecteur ne prendra pas au sérieux une société minutieusement détaillée si celle-ci contrevient à des règles élémentaires du comportement humain. J’ai encore de mauvais souvenirs d’un roman où l’auteur n’avait pas su contrôler ses penchants libertariens: sa soi-disant utopie était construite avec beaucoup, beaucoup de pensée magique…

Au fond, le gars des vues est un peu le concierge du récit: on accepte qu’il arrange le décor avant que ne débute le récit. Mais on ne veut pas l’entendre passer l’aspirateur en plein coeur de l’action.