Éditorial: Des mots, démocratie

Au moment où j’écris ces lignes, la discussion se poursuit toujours au sujet du Test Dagenais, publié la semaine dernière sur notre site. C’est une grande fierté pour l’équipe de la République que d’apporter un tel outil de réflexion au débat actuel sur la diversité et l’inclusion. Je profite de cet éditorial pour féliciter Luc pour la finesse et la pertinence de ses réflexions. Il s’agit d’enjeux importants, et la communauté SFFQ démontre qu’il est possible d’en discuter sans s’invectiver.

De ce point de départ, mes réflexions d’aujourd’hui me mènent dans une autre direction.

Car à travers ces conversations sur la diversité et l’inclusion, il existe une tendance qui m’inquiète au plus haut point. Je me tiens informé sur ces sujets, ce qui implique de suivre de nombreux intervenants (québécois et internationaux) sur les médias sociaux. Sans prétendre que cela me donne une couverture absolue des préoccupations qui existent dans l’air du temps, il s’agit d’un échantillon qui m’apparaît représentatif.

Les enjeux abordés sont d’une importance évidente : le racisme, l’homophobie, la transphobie, la violence sexuelle, …

Par contre, je ne les entends jamais parler de démocratie.

Pas d’outrage de leur part sur la répression du gouvernement élu de la Catalogne par l’Espagne Sur le glissement de la Turquie vers la dictature. Sur l’influence grandissante d’une Chine toujours dictatoriale et répressive. Sur les travers de la démocratie étatsunienne, dont l’élection de Trump ne constitue que le plus grave symptôme à ce jour. Sur la destruction par Poutine de l’élan démocratique russe des années 1990.

Ce constat me semble choquant. Une société démocratique fonctionnelle est le seul pilier permettant, grâce au respect des droits humains fondamentaux, à l’individu de s’épanouir et d’exprimer sa diversité. Comment l’importance de la démocratie peut-elle à ce point disparaître des préoccupations ambiantes? Surtout chez ceux qui militent activement pour des causes sociales?

Je me questionne si un relativisme culturel poussé à l’extrême n’y contribuerait pas, la démocratie étant perçu comme une forme supplémentaire de domination culturelle occidentale. Ou sommes-nous simplement devenus désabusés par les idéaux démocratiques?

La défense des intérêts d’individus et de minorités demeure certes une facette du maintien d’une vie démocratique. L’histoire nous enseigne que, à défaut d’un putsch militaire, la démocratie est rarement attaquée de front. Les droits des groupes marginaux sont d’abord rognés, et graduellement l’oppression s’étend à de plus larges segments de la population.

Cela dit, une trop grande insistance sur des droits individuels peut faire perdre de vue les grands enjeux sociaux. L’inexistence de congés de maternité payés aux États-Unis me semble un enjeu prioritaire sur les toilettes non genrés, quoiqu’en pensent les réseaux sociaux.

Pour ces raisons, il m’apparaît primordial de ramener l’importance de la démocratie à l’avant-scène de nos préoccupations.

4 commentaires sur “Éditorial: Des mots, démocratie

  1. Gen

    Très intéressante réflexion. Mais je crois que tu as déjà répondu à ton interrogations : « désabusés ». Oui, les gens sont désabusés. Ils n’ont pas l’impression que la solution pourra venir d’un gouvernement, parce que les gouvernements en place sont corrompus ou immobilistes.

    Et pendant que rien ne change, les combats pour les droits des minorités servent parfois de poudre aux yeux pour camoufler des enjeux plus larges et fondamentaux. (Ou pour se consoler des enjeux plus larges).

    Les « social justice warrior » te répondrait qu’on ne peut pas réduire l’importance d’un enjeux au nombre des personnes qu’il touche et que les toilettes non genrées sont aussi essentielles que des élections proportionnelles, mais…

    Mais non, c’est pas de même qu’un groupe devrait fonctionner. Il faudrait assurer santé, stabilité, protection, démocratie réelle pour le plus grand nombre, puis, une fois cela établit, s’occuper des intérêts des groupes de plus en plus restreint. Malheureusement, de nos jours, les gouvernements jouent à satisfaire le groupe le plus riche, puis celui qui crie le plus fort, puis à noyer le reste.

  2. Jean-Louis Trudel

    Salut,

    Défendre ou promouvoir la démocratie dans un pays autre, c’est se placer sur une pente glissante qui aboutit parfois à des interventions malheureuses comme en Irak e 2003 ou, plus récemment, en Libye, pour ne citer que ces exemples récents. La non-intervention peut aussi avoir des conséquences peu souhaitables, comme en Syrie, mais je crois que la conscience des pièges de la promotion de la démocratie ailleurs que dans son propre pays fait partie des facteurs qui incitent à une certaine modestie dans ces cas. De plus, les défaillances de nos propres démocraties donnent souvent prise à des critiques en retour (comme dans le cas de l’Arabie saoudite et du Canada).

    Défendre ou promouvoir la démocratie dans son propre pays, c’est effectivement une nécessité. Mais elle exige en général d’adopter un camp et de descendre dans l’arène politique, d’habitude avec les couleurs de son camp. Ce qui est gênant pour beaucoup de monde. Défendre un programme politique est souvent plus facile à faire, dans la fiction et dans la sphère publique, que défendre un système politique, ce qui exige au minimum d’identifier l’ennemi contre lequel on veut le défendre…

  3. Alain Ducharme

    Mariane: merci!

    Geneviève: Je partage ton analyse,

    Jean-Louis: Je crois effectivement que l’on doit distinguer la promotion individuelle de la démocratie (qui est souhaitable) avec sa récupération impérialiste par un État comme outil contre un autre. Je crois que, comme individus, nous avons toujours le loisir de nous exprimer contre des manquements démocratiques ou des violations des droits humains qui se produisent en pays étrangers.

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