Éditorial: Prédictions hasardeuses

Tout indique que 2020 sera l’épicentre d’une singularité sociale. Il était déjà évident que les conséquences de la pandémie allaient se faire sentir sur le long terme; dans les dernières semaines le mouvement Black lives matter a rendu impossible d’ignorer des situations révoltantes qui perdurent depuis des décennies. Et je ne sais pas pour vous, mais je ne m’attends pas à ce que les six mois restant à l’année soient un long fleuve tranquille.

On ne peut cependant pas savoir encore de quelle manière la société s’ajustera aux bouleversements en cours. Ça n’empêche pas de nombreux journalistes de s’y essayer, mais règle générale leurs prédictions ne dépassent guère les tendances déjà bien entamées. Aucun point boni pour affirmer qu’il y aura davantage de gens qui se mettront au télétravail! La cascade complexe de répercussions d’un tel changement – de tout changement – nous est à l’heure actuelle bien opaque.

Et ce n’est rien pour faciliter la vie de l’auteur de science-fiction. Il est hasardeux ces temps-ci d’écrire une histoire qui se déroule dans un futur proche – il y a un risque bien réel qu’elle soit désuète avant même sa publication. La science-fiction nécessite du recul si elle veut être un reflet utile de nos préoccupations actuelles.

En attendant il est bien sûr possible de se réfugier dans le space opera, qui ne se soucie guère de notre actualité quotidienne. Mais je pense qu’il demeure possible de continuer à exploiter le futur proche. Notre société ne manque pas de problématiques importantes qui ont disparu du radar suite aux événements des derniers mois. Pour ne prendre que deux exemples: il s’écrit beaucoup moins d’articles qui parlent d’environnement ou du mouvement #moiaussi! Inutile d’être un devin pour affirmer que ce n’est que partie remise; ces enjeux sont loin d’être réglés. Peut-être est-ce justement le bon moment de les explorer en fiction, puisque les circonstances nous fournissent le recul nécessaire.

La science-fiction, c’est en grande partie l’art de porter son regard à gauche quand tout le monde observe à droite.