Débuter cet éditorial en citant un quelconque proverbe chinois aurait-il constitué une provocation? J’aimerais bien croire que non, mais pourtant les accusations simplistes d’appropriation culturelles ne manquent pas sur les médias sociaux.
Les littératures de l’imaginaire ne se contentent pas de mettre en scène des aspirants auteurs névrosés dans un cadre urbain contemporain. Par définition, elles cherchent à explorer ailleurs, et une telle démarche s’effectue rarement en vase clos. La curiosité est sans doute l’arme principale de l’auteur de genre: il n’y a aucune discipline savante qui ne puisse amener de l’eau au moulin de sa créativité.
L’interprétation rigoriste de l’appropriation culturelle, selon laquelle un auteur ne peut pas mettre en scène une culture qui n’est pas la sienne, me semble si foncièrement néfaste qu’y répondre serait une perte de temps et d’énergie. La réponse appropriée à la problématique de l’appropriation culturelle doit aller dans le sens de l’ouverture vers l’autre, et non du repli. Établir un interdit strict ne permet à personne de développer une nécessaire sensibilité sur cette question. Il faut plutôt d’encourager toute personne qui s’intéresse à une autre culture à prendre d’abord conscience de son propre contexte, du point de vue avec lequel il pose un regard.
Le débat sur l’appropriation culturelle est né aux États-Unis, et une grande partie de la sémantique qui s’y rattache est fonction du contexte social et culturel américain. Et il est utile de rappeler un élément important de ce contexte: le marché américain est extrêmement fermé aux produits culturels extérieurs. Très peu de romans traduits sont publiés, très peu de films internationaux sont diffusés sur les écrans. Les influences étrangères, de Céline Dion et John Woo (deux noms que vous ne vous attendiez jamais à voir dans la même phrase), doivent être intégrées à la machine culturelle américaine avant de devenir accessibles.
Comme Québécois, il me semble fondamental que notre regard sur le reste de planète ne doit pas toujours se faire à travers la lentille américaine. En particulier, nous avons des liens privilégiés à établir avec les autres cultures se trouvant en situation de minorité ailleurs sur la planète – dont certaines avec qui nous partageons un territoire.
Pour ce faire, notre propre identité doit être forte et assumée. Car s’il y a une culture que nous ne devons avoir aucun scrupule à nous approprier, c’est bien la nôtre! Nous possédons tout un bagage historique, social et culturel que nous ne devons pas, comme créateurs, hésiter à explorer et à mettre en valeur.
C’est en étant fiers de notre propre culture que nous pouvons donner le goût, à d’autres ailleurs dans le monde, de s’y intéresser, d’établir une conversation avec nous. Et cela, ce n’est pas de l’appropriation, c’est du partage.