Hommage visionnaire 2017: Hommage de Hugues Morin à Joël Champetier

Le dimanche 7 mai 2017 avait lieu la remise du prix Hommage visionnaire de la science-fiction et du fantastique québécois à l’auteur Joël Champetier, décédé en 2015. Pour l’occasion, son ami et collaborateur de longue date Hugues Morin lui a rendu un hommage bien senti, que nous reproduisons ici avec sa permission.

Notez que durant la cérémonie fut lu un extrait de la nouvelle « Visite au comptoir dénébolien », disponible intégralement ici.

À l’été 2015, j’ai lu le roman La taupe et le Dragon, à la fois pour ré-entendre la voix de mon ami Joël qui me manquait déjà, et à la fois pour replonger dans une de ces lectures qui jalonnent ce que vous devenez dans la vie. Il y a des gens qui sont tombés dans la science-fiction québécoise quand ils étaient petits, mais pour moi, c’est arrivé sur le tard. Et des deux livres qui m’ont fait découvrir la littérature de genre faite au Québec, le tout premier a été le roman La Taupe et le Dragon, de Joël Champetier.

Cette découverte allait être une des lectures les plus marquantes de ma vie, puisque la rencontre avec l’oeuvre de Joël influencerait ce que je deviendrais, en plus de me faire découvrir quelques mois plus tard celui qui allait être mon directeur littéraire pour les vingt-trois années suivantes. Joël a été le premier à voir en moi un certain potentiel, le premier à m’encourager à poursuivre mes tentatives littéraires. Il a été celui qui m’a lu et relu, commenté, fait travailler et retravailler. Il a été celui qui m’a invité à écrire pour des numéros thématiques, celui qui m’a convaincu de revenir dans les Boréal, de m’inscrire à une convention mondiale, et celui qui m’a un jour offert un livre d’un de mes auteurs favoris, qu’il était allé voir à la World Fantasy pour lui demander de me dédicacer son dernier roman.

Un jour, j’ai réalisé que La Taupe et le Dragon avait été publié 10 ans seulement après la première nouvelle publiée par Joël. N’ayant pas atteint cette étape dans ma propre évolution littéraire, j’en avais discuté avec Joël, qui m’avait alors énuméré de mémoire une liste d’auteurs n’ayant rien publié de majeur avant 50 ans…

Évidemment, ce que je décris là sont plus les agissements d’un ami que d’un simple directeur littéraire. Mais tous ceux qui ont connu Joël Champetier auront toujours eu cette impression qu’ils étaient importants à ses yeux et qu’ils valaient la peine que Joël passe du temps avec eux et dans leurs projets. Ainsi au fil des décennies à distribuer ses généreux et précieux conseils, il a contribué comme peu d’entre nous à la diversité, l’évolution et la richesse du milieu et des littératures de genre au Québec.

De me voir ici aujourd’hui devant vous, à évoquer sa mémoire – comment celle-ci survivra toujours en ceux qui l’ont croisé comme dans ses œuvres qui survivront sans aucun doute au passage des années – Joël serait le premier à souligner une amusante coïncidence, lui qui a justement exploré le thème de la mémoire sous plusieurs angles dans sa fiction. De l’amnésie partielle du protagoniste de La Mémoire du lac à l’amnésie totale du héros du roman Le Voleur des Steppes jusqu’à l’amnésie de toute une population dans Reset – le voile de lumière, cette simple évocation d’un thème spécifique suffit à se souvenir de son habileté à se l’approprier et la voix unique avec laquelle il abordait ses œuvres.

Vous connaissez tous le Joël qui s’est impliqué et a généreusement fait la promotion du milieu de la SFFQ. Dans Solaris, bien entendu, mais aussi à Boréal, dans l’Année de la science-fiction et du fantastique québécois et dans de nombreux salons du livre, comme auteur invité, invité d’honneur ou même membre de l’organisation. Si j’ai décidé aujourd’hui d’évoquer Joël comme un ami et un mentor, c’est que je sais que la grande majorité de ceux qui ont eu la chance de le croiser dans leur vie se retrouveront dans mes anecdotes et reconnaîtront sa grande générosité dans mon témoignage. Mon histoire avec Joël ressemble sans aucun doute à votre histoire avec Joël. Et je ne sais pas pour vous, mais le fait qu’il ait consacré de son précieux temps à me faire avancer comme auteur, eh bien aujourd’hui, j’y pense à chaque fois que j’écris, à chaque fois que je travaille une nouvelle. J’aurais l’impression de le trahir si je ne m’efforçais pas d’amener chaque histoire à son meilleur potentiel possible compte tenu du mien. Et pour vous dire la vérité, si je n’écrivais plus, j’aurais aussi l’impression d’avoir gaspillé de son temps, alors vous allez m’avoir sur le dos encore un bout de temps!

Joël Champetier avait un mélange très personnel de chaleur humaine, d’humour, de sagesse et d’esprit ludique, qui en faisait une personne d’exception. Ces qualités, jumelées à son pragmatisme, font de son œuvre une composante incontournable de la science-fiction et du fantastique québécois. Pour cette raison et mille autres, je suis honoré de lui rendre ce court hommage aujourd’hui, dans le cadre de la remise du prix Hommage Visionnaire 2017.