Éditorial: Suivez l’histoire, suivez le lien

Comme beaucoup de ma génération, les Livres dont vous êtes le héros ont été une composante marquante de mon enfance. Comme lecteur, je me suis vite habitué à parcourir les paragraphes dans le désordre, au gré de mes choix et du caprice des dés.

Que ce soit avec de la fiction interactive ou de l’hyperfiction, la littérature explore les formes narratives non séquentielles depuis au moins les années 1960. On ne peut cependant pas dire qu’elles ont acquis leurs lettres de noblesse.

Ces formes narratives ont en grande partie quitté la littérature pour prospérer dans d’autres formes de divertissement – notamment le jeu vidéo. On peut argumenter que le livre papier ne constituait pas un support approprié. Mais voilà, la littérature n’existe plus qu’en format papier. On sait passer des heures à se perdre dans la complexe forêt de liens de wikipédia – mais serait-on prêts à en faire de même pour plonger dans une œuvre d’hyperfiction?

Tout en se trouvant à la frontière du jeu vidéo, le « roman visuel » japonais constitue possiblement le principal succès commercial de fictions non séquentielles; ce genre est bien défini depuis plusieurs décennies, et maintient une réelle popularité.

Le fruit est-il mûr pour que la littérature se réapproprie la non linéarité?

Étant donné sa nature électronique, la République du Centaure serait un endroit parfait pour expérimenter ces formes narratives non séquentielles. Mais voilà, cela correspond-t-il à un besoin? Y a-t-il des auteurs désireux d’en écrire? Des lecteurs désireux d’en lire?

Je ne suis pas convaincu que ces formes aient montré qu’elles pouvaient dépasser le statut de curiosité littéraire. L’attrait des Livres dont vous êtes le héros résidait principalement dans l’aspect jeu, qui amenait bien sûr un élément immersif inspiré du jeu de rôle. Si on retire cet aspect, que reste-t-il? Même un livre tel que 6, chalet des brumes se voulait un hommage clair à cette collection, et a été vendu comme tel.

Ce sont peut-être des contraintes techniques et commerciales qui empêchent de bien développer de nouvelles formes littéraires? Un hyperroman doit être conçu pour une plate-forme spécifique; le changer d’environnement exige un travail non négligeable. ET la pérennité d’une telle œuvre est loin d’être assurée! Si je m’étais procuré un hyperroman sur CD-ROM dans les années 90, pas certain que je le relirais souvent…

Si vous êtes d’accord avec cet éditorial, allez en 6.

Si vous ne l’êtes pas, allez en 13.

2 commentaires sur “Éditorial: Suivez l’histoire, suivez le lien

  1. Gen

    Je crois que le problème principal avec les romans interactifs et les livres-jeux, c’est qu’ils sortent constamment le lecteur de sa lecture. Chaque fois qu’il doit faire un choix, il se rappelle qu’il lit et l’ambiance est donc rompue.
    Les jeux vidéos (où le joueur expérimenté oublie très vite qu’il tient une manette) ne posent pas ce problème là : choisir ne brise pas l’immersion, cela en fait partie.
    J’ai l’impression que des fictions interactives sur le web poseraient toujours le même problème de bris d’ambiance., sauf si on ajoutait de la musique ou du visuel (comme dans les romans visuels japonais). Mais voilà, tu soulignes le problème dans ces cas-là : la possibilité de suivre les avancées technologiques.
    Et puis l’autre problème des histoires non séquentielles, c’est qu’elles sont non séquentielles et que nous sommes nombreux à vouloir savoir TOUTE l’histoire et voir TOUTES les fins. Que ce soit avec un livre dont vous êtes le héros ou un jeu vidéo! lol!

  2. Alain Ducharme

    Tu amènes plusieurs points intéressants. La littérature ne dépend que de l’écrit pour être immersive – faire décrocher le lecteur peut être un réel problème avec toute fiction interactive. Je me demande s’il y a moyen d’atténuer ou de contourner ce problème.

    Et effectivement, une histoire non séquentielle doit soit permettre au lecteur de profiter de tout le contenu, soit le lui interdire en le convaincant que cela fait partie de l’expérience. Pas facile dans les deux cas! Là-dessus, l’hyperfiction a un avantage sur la fiction interactive: elle est conçue pour être lue entièrement – juste pas dans un ordre prédéterminé.

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