Éditorial: Sur l’évolution des mentalités

Il n’y a rien comme des mentalités dépassées pour rendre passé date un texte de science-fiction.

Que les gadgets utilisés dans un contexte futuriste soient moins évolués que votre téléphone d’il y a cinq ans passe encore. Souvent, cela procure une saveur rétro qui peut même être agréable. Mais lorsque les protagonistes présentent des attitudes allant du ringard à l’inacceptable, il devient facile de décrocher.

Les mentalités ont beaucoup progressé depuis 25, 50, 75 ans… Il serait cependant arrogant de penser que nous avons atteint le sommet de l’évolution humaine. Inversons donc la problématique. Comment, dans un texte de science-fiction, pouvons-nous représenter de manière crédible les attitudes de protagonistes vivant dans un futur proche ou lointain?

Pour les fins de la discussion, posons ici que le futur imaginé aspire à être positif; dans une dystopie, la régression des mentalités est souvent attendue.

Une première approche consiste à pousser plus loin, ou simplement à généraliser, les attitudes considérées aujourd’hui comme progressives. À défaut d’être réaliste, cela possède l’avantage de la vérisimilitude: on peut facilement croire qu’il s’agit d’une évolution normale et voulue de notre société actuel. Par le fait même, on donne au lecteur un modèle immédiat, positif, auquel il peut s’accrocher.

On peut cependant douter que cette approche. Il est difficile de prévoir quelles seront les préoccupations sociales courantes d’ici une ou deux générations, mais il y a fort à parier qu’il y en aura de nouvelles. Leur absence dans le récit, par lui-même, est un manque de réalisme.

L’alternative est donc pour l’auteur de développer des problématiques sociales crédibles par rapport auxquelles ses personnages pourront se positionner. Il peut bien sûr construire à partir de notre monde contemporain, mais devra effectuer un véritable travail d’extrapolation sociale.

Tout un contrat.

Car nous revenons ici à la raison première de la science-fiction, mais également à la raison pour laquelle ce genre littéraire peut être si exigeant à pratiquer: cette extrapolation nous permet un éclairage différent sur notre propre réalité sociale. Elle permet de discuter d’enjeux en s’éloignant du vocabulaire des réseaux sociaux et des concepts à la mode. 

Et, qui sait, parfois, d’initier un nouveau dialogue.

5 commentaires sur “Éditorial: Sur l’évolution des mentalités

  1. Gen

    Ah, oui, rien de tel qu’un alien de l’an 3000 qui réfléchit comme un mononcle des années 50! :p Cela dit, la SF demande toujours d’être conscient de l’époque à laquelle elle a été rédigée. On ne peut pas la lire avec nos lunettes modernes (de la même manière, on ne devrait pas écrire un roman historique en ayant trop #metoo en tête).

    Mais, j’aime beaucoup cette idée d’inventer de nouvelles problématiques sociales. Faut que j’y réfléchisse!

  2. Alain Ducharme Post author

    J’ai lu un peu trop de nouvelles récemment qui transportait le #metoo dans le passé ou le futur, au point où certaines répliques semblaient tirées de messages des médias sociaux. J’ai beau appuyer la cause, ça me fait complètement décrocher.

  3. René Gagnon

    En général, même la meilleure futurologie ne fait pas de la bonne SF. C’est vrai en matière de technologie, mais encore plus en matière de psychologie, d’anthropologie ou de sociologie. Toute projection dans l’altérité doit se fonder sur une réalité bien comprise, sur un présent bien appréhendé. Autrement, on fait dans le grand n’importe quoi, dans le grand guignol, quoi!

  4. Alain Ducharme Post author

    Je suis d’accord pour affirmer que l’extrapolation sociale doit être ancrée dans le présent. Mais l’objectif n’est pas nécessairement d’effectuer de la futurologie: construire un récit intéressant demeure la priorité. Toute extrapolation sociale doit être au service d’une bonne histoire!

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