Éditorial: Une langue de proximité

Comme toutes les langues, le français doit être prêt à évoluer s’il veut survivre. La conversation à cet égard a pris de l’ampleur durant les dernières années, en particulier sur la place qu’occupent les genres dans notre langue.

Avant toute chose, deux constats me semblent importants.

Premièrement, le français doit rester reconnaissable comme tel. Si certaines propositions semblent très modestes, d’autres impliqueraient des modifications en profondeur de notre langue. Convenons que l’ajout d’un troisième genre neutre pourrait imposer un bouleversement important de la structure de la langue, ce qui demande de la prudence.

Nous pouvons à l’heure actuelle profiter de plusieurs siècles de littérature francophone; il s’agit d’un patrimoine important. Modifier trop substantiellement le français imposerait de se couper de ce patrimoine, de le rendre beaucoup moins accessible aux générations futures. Cela me semble problématique.

Deuxièmement, la conversation sur l’évolution du français doit rechercher le consensus le plus large possible. Que des groupes d’intérêts particuliers démarrent le débat, cela est entièrement souhaitable – ce débat provient en premier de ceux qui se satisfont le moins de l’état actuel du français. Mais un débat de cette importance ne peut se faire uniquement entre ceux qui partagent à l’avance les mêmes positions.

Il faut également prendre acte que le français n’évolue pas de la même manière que l’anglais, et que cela doit être respecté. L’anglais évolue beaucoup « par la base »: un peu tout le monde fait ce qu’il veut, et certains changements finissent par se populariser. Le français évolue suivant l’impulsion de certaines institutions (l’Académie française et le plus progressiste Office québécois de la langue française) qui, lorsqu’ils font leur travail adéquatement, respectent les consensus obtenus.

Je constate également qu’il existe à l’heure actuelle une tentation forte pour importer directement certaines solutions qui sont mis de l’avant pour la langue anglaise. Il faut y résister. Les réformes qui pourraient être appliquées à la langue française doivent s’inscrire dans sa propre histoire, sa propre évolution. Les règles qui régissent actuellement notre langue ne datent pas de la nuit des temps. Connaître de quelles manières ces règles ont évolué permet d’apprécier au maximum les possibilités qui s’offrent au français.

À ce sujet, je terminerai cet éditorial avec un appel en faveur de la règle de proximité.

En français moderne, on nous enseigne que « le masculin l’emporte sur le féminin ». Ainsi, si un adjectif se rapporte à plusieurs noms, certains masculins, d’autres féminins, il sera considéré comme masculin. Cette règle ne s’est imposée qu’au 18e siècle (et, ne nous le cachons pas, il s’agissait d’un parti pris entièrement sexiste, basé sur l’idée que le genre masculin était « plus noble »). Auparavant, une règle grammaticale voulait que l’on accorde cet adjectif avec le nom le plus rapproché. Nous pourrions ainsi dire:

« Cette table et ce bureau sont verts. »

mais

« Ce bureau et cette table sont vertes ».

Voilà un changement tout simple, simple à enseigner, s’inscrivant dans l’histoire du français, et possédant le mérite énorme de rendre notre langue un peu plus égalitaire. Revenir à la règle de proximité s’impose.

 

 

 

 

 

 

2 commentaires sur “Éditorial: Une langue de proximité

  1. Gen

    Hourra pour la règle de proximité! Cependant, je voterais pour qu’on arrête simplement de la considérer comme une faute d’accord et qu’on laisse aux locuteurs le loisir d’utiliser la règle de prépondérance du masculin (Alain et Luc et Gen sont allés) ou de la proximité (Alain et dix femmes sont allées) selon la logique et/ou l’intention du locuteur. Un peu comme on accepte maintenant chevals et chevaux indifféremment. L’expérience antérieure démontre qu’en laissant les gens libres d’appliquer ou pas la nouvelle règle, on évite les levées de bouclier.qu’un changement imposé risquerait de provoquer (et de bloquer).

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