Éditorial: Lisez moi, moi, moi

L’écriture est une activité solitaire, aussi n’est-il pas étonnant que les auteurs se plaisent à se rencontrer. Congrès littéraires, salons du livre, conférences: toutes les occasions sont bonnes pour prendre des nouvelles et discuter du métier. Dans le domaine de la SFFQ, le congrès Boréal 1 témoigne de cette inclinaison depuis près de 40 ans.

Les auteurs novices sont les bienvenues à ces rencontres. Oh, bien sûr, il y a parfois des accrochages, ne le nions pas; le milieu demeure cependant très accueillant.

Une ligne de tension se développe cependant depuis quelques années. L’auto-publication est devenue très accessible: n’importe qui peut noircir quelques centaines de pages, appeler ça un « roman », puis payer pour le faire publier. Aucune direction littéraire, une révision linguistique minimale: le résultat est généralement affligeant.

Puis, ces auteurs (je résiste à la tentation d’utiliser des guillemets, j’essaye d’être bien élevé) débarquent dans les rendez-vous littéraires… et, sans surprise, ça ne se déroule pas toujours très bien.

Il y a une règle non-écrite lors d’une rencontre d’écrivains: l’infopub est laissée de côté. On parle du métier, de techniques d’écriture, des livres que l’on a lus, et même si ça nous en dit on jase de cinéma ou de télévision. Mais si chaque auteur passait son temps à vendre la salade de son dernier roman, l’atmosphère deviendrait rapidement irrespirable. Des opportunités de parler de ce que l’on écrit se présentent (les séances de dédicaces remplissent cet objectif, par exemple), mais elles ne doivent pas devenir de la flagrante autopromotion.

Percevoir les congrès littéraires uniquement comme un lieu de vente (et non pas comme un lieu de partage et d’échange): cette tendance va malheureusement en s’amplifiant, et déforme la nature même de tels événements.

L’autopromotion abusive amoindrit, quant à elle, la perception collective du métier d’écrivain. L’art d’écrire est difficile et s’apprend sur de nombreuses années (première étape: lire, lire et lire encore). L’auto-publication donne au contraire l’impression qu’il s’agit de la partie facile du travail (il y aura toujours des proches qui diront à l’auteur auto-publié que ce qu’il écrit est génial; ils se trompent), et que les véritables efforts doivent être investis dans l’autopromotion.

Quel appauvrissement culturel cela représente!

Je ne veux cependant pas lancer la pierre à ceux qui ont choisi l’auto-publication comme voie d’entrée vers le monde de l’édition, car certains manifestent un désir d’écrire sincère qui mérite d’être cultivé adéquatement. Qu’ils écrivent des nouvelles pour parfaire leur art, qu’ils acceptent les critiques parfois dures d’une direction littéraire! Et surtout: qu’ils lisent, encore et toujours.

Ce parcours, cependant, demande de l’humilité. Car avec une telle vision, l’objectif doit être d’affiner sa plume – pas de chercher à se vendre.


 

1: Par souci de transparence: je contribue à l’administration de SFSF Boréal, l’organisme derrière le congrès Boréal, mais ne participe pas à l’organisation du congrès lui-même.