Éditorial: Réécrire ou pas

Saviez-vous que dans la première version de Bilbo le Hobbit, publiée en 1937, Gollum offre volontairement son anneau à Bilbo, puis lui indique le chemin de la sortie après que ce dernier remporte le jeu des énigmes?

Inutile de dire que cette version ne cadre pas avec le rôle que joue l’Anneau unique du Seigneur des anneaux. La nouvelle édition, parue en 1951, modifiait en profondeur la personnalité de Gollum, faisant de lui le personnage sombre et tragique que l’on connait actuellement.

En 1960, Tolkien projeta une version supplémentaire de Bilbo le Hobbit dont le style s’accorderait davantage avec celui de sa trilogie. Il abandonna ce projet après trois chapitres, son entourage lui faisant comprendre que le ton léger du livre méritait d’être préservé. Sur ce point, nous ne pouvons qu’être en accord.

Légalement, une œuvre littéraire appartient à son auteur, qui possède toute la latitude pour modifier celle-ci à sa guise, même après la publication initiale.

Il demeure tout de même légitime de se poser la question sur la pertinence de ces réécritures. Risque-t-on de dénaturer l’œuvre initiale en cherchant ainsi à l’améliorer?

On ne peut réfléchir à cette question sans se débarrasser d’abord de conceptions naïves sur la « pureté » d’une œuvre littéraire. Le passage du manuscrit initial jusqu’au livre publié relève souvent de la transmutation, et diverses contraintes de publication peuvent influencer le contenu du texte.

(Et n’abordons même pas le sujet des traductions: le nom du traducteur n’apparaît peut-être pas sur la couverture avant, mais son rôle n’est pas très loin de celui de « deuxième auteur » dans bien des cas. Plusieurs romans de A.E. van Vogt présentent une qualité littéraire bien plus grande dans leur version française. Remercions pour cela le traducteur… un certain Boris Vian.)

Généralement, les modifications qui sont apportés lors d’éditions suivantes d’un livre n’ont qu’un impact négligeable pour le lecteur. S’en rendra-t-il même compte? Si les modifications deviennent plus substantielles (au point de modifier la teneur même du récit), cela devient une courtoisie appréciée que d’en aviser le lecteur (ce que Tolkien fit, soit dit en passant, en présentant la version initiale comme issue d’un narrateur peu fiable – Bilbo Baggins lui-même.)

Certains auteurs vont même plus loin: retravaillant une œuvre, ils optent pour lui donner un titre différent afin que les deux versions puissent exister indépendamment.

La majorité des textes que nous avons publiés dans cette première année de la République du Centaure respectent intégralement le contenu de leur première publication. Par contre, certains auteurs ont profité de l’opportunité pour apporter quelques corrections. Dans la majorité des cas, cela n’allait pas plus loin que de supprimer quelques adverbes jugés superflus, ou de remplacer un verbe d’état par une formulation plus descriptive.

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